Accor perdant, accord gagnant !

Des femmes de chambres contre le 6e groupe hôtelier mondial : il en aura fallu, de la patience, pour renverser la table…

Publié le 24 septembre 2021

« ‘‘Fermez vos gueules ! Fermez vos gueules’’, ils nous criaient. Et même, parfois, ils nous balançaient des trucs sur la tête depuis leurs fenêtres, de l’eau ou des canettes… » Rachel, la femme de chambre, secoue la tête : « Mais plus ils faisaient ça et plus ça nous donnait de la force. » C’est qu’ils étaient contrariés, les clients de l’Ibis Batignolles, à la lisière nord de Paris : pendant huit mois, Rachel et ses copines ont tenu le piquet de grève devant leur hôtel. Un conflit qui aura duré près de deux années.

On rembobine le film : juillet 2019, ces femmes de chambre de l’Ibis, employées de la STN, n’en peuvent plus. Marre des cadences, d’être payées à la chambre, de ne pas bénéficier d’une prime de panier pour manger le midi. « Les mutations pour les salariées en arrêt-maladie, ça a été la goutte d’eau, se souvient Sylvie. Le médecin du travail avait exigé que leur rythme passe de 20 à 10 chambres par jour. Alors, la direction les a mutées ! » Rachel poursuit : « Parce que, faut comprendre, c’est un métier qui détruit le corps, vraiment : on a des tendinites, des douleurs aux genoux. Ça rend malade. »

Le petit groupe identifie vite les responsables. « On est salariées de la sous-traitance, mais c’est Accor qui donne les ordres, non ? Mais ils nous ballottaient comme un ballon de rugby. On a compris que le seul langage possible, ce serait la grève. » Certaines se découragent : elles étaient 34 filles au début, une vingtaine rapidement. C’est là que Claude et Tiziri, de la CGT-HPE, se pointent sur place. « Quand il a vu ça, le patron de la STN nous a dit de ne surtout pas rester avec eux », rigole Sylvie. Raté : au bout d’une semaine, tout le monde est syndiqué. Reste que « c’est dur, la grève dehors, surtout dans le froid, la pluie, la neige ». La lutte a débordé sur l’hiver. « Parfois, on n’en pouvait plus. Nos familles s’inquiétaient pour nous, moi mes enfants me disaient d’arrêter. »
Des caisses de grève se mettent en place. Elles vont récolter, au final, 280 000 euros – dont 15 000 des postiers grévistes de Sud 92 ! Une fois réglés les frais d’avocats, de quoi tenir ces deux années.

Car en face, Accor réagit : le groupe, quatre mille salariés, fait venir d’autres salariées pour compenser les débrayages. Alors, il faut faire du bruit, plus de bruit, devant le siège du groupe, dans d’autres hôtels, avec des politiques et de la presse.
Et Accor, comme STN, finissent par céder, lors d’une ultime médiation, en mai dernier. « Leur image en souffrait, tellement elle était salie, analyse Rachel. On a saisi la cravate de Sébastien Bazin, le PDG d’Accor, on lui a serré encore un peu plus, on lui a donné nos conditions et il les a acceptées à 99 %. »

Car elles gagnent sur quasi tout, au final : 7,30 euros de panier repas, travail à la pointeuse et non plus à la chambre, 20 minutes de pause le midi, annulation des mutations, grévistes licenciées qui sont réintégrées. « Quand j’ai vu ma fiche de paye, ça a changé, aussi ! » En moyenne, entre 250 et 500 euros de plus par mois. « On a sorti la tête de l’eau comme la sardine sort de sa boîte. Avoir résisté au 6e groupe mondial, c’est une fierté. » En fait, « il manque juste l’internalisation, mais ça va venir », prévient Rachel. La cravate de Bazin a du souci à se faire : l’appétit vient en gagnant.

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