Dans la cuisine de Darwin (n° 100)

Trente ans que Darwin classe ses milliers de coupures de presse, collectées une à une, rangées dans des classeurs, des cartons, ou punaisées aux murs de sa cuisine. « C’est pour ne pas oublier d’être en colère », précise-t-il. Bienvenue chez le philosophe accro à la presse people.

Publié le 24 septembre 2021

Par

La pouponnière de Davos

Elle, juin 2021.


Le magazine Elle n’a pas forcément une portée critique, mais là, ils se tirent carrément une balle dans le pied… Cet article dézingue tout simplement l’illusion méritocratique. On nous y présente une école pour rupins, où tu vas pour réseauter, tout simplement.
On n’y parle pas de cantine, mais de « restaurant avec un chef étoilé ».
Dans les salles de TP ultra modernes, « on laisse les élèves expérimenter ». Cela change de nos établissements publics sans moyens : dans ma classe, avec 36 élèves et deux AVS, nous n’avons que 32 chaises… Nico Hirtt le disait en 2005 dans Les nouveaux maîtres de l’École :
« L’obsolescence rapide des savoirs enseignés par l’école a conduit les décideurs à suggérer que le système d’enseignement devait être réformé. L’école devrait se contenter d’apporter aux jeunes quelques compétences limitées (calcul, utilisation d’une interface informatique) leur permettant de s’adapter facilement aux changements de postes et d’environnement de travail (…), formant de futurs travailleurs disciplinés et respectueux des institutions, des salariés dévoués à leur entreprise et disposés à conformer leurs horaires de travail aux exigences de la production. C’est aussi là ce que recommande le Conseil européen réuni à Amsterdam dès 1997 :
‘‘accorder la priorité au développement des compétences professionnelles pour une meilleure adaptation des travailleurs aux évolutions du marché du travail’’. »

A cause de cela, combien de Mozart va-t-on assassiner dans les écoles publiques, où des gamins pourtant très capables sont systématiquement orientés en 3e techno ? Mais c’est sûr, dans cette « école du gotha », à 150 000 euros les frais scolaires annuels, les gamins ont le temps « d’expérimenter », avec quelque 350 cours à la carte et 700 parcours scolaires différents au programme. De quoi faire une belle fête de fin d’année, avec « feux d’artifice » et « louches de caviar »
Il y a de quoi se réjouir, en effet : ce bastion de la haute bourgeoisie va former nos futurs maîtres, qui vont tenir dans la sujétion des armées de salariés et vont précipiter les écosystèmes à leur perte.

Pluton sur Saturne, et ça tourne

Marie-Claire, juillet 2021


Le principe de l’horoscope est aberrant : l’alignement des planètes, qui change sans cesse, déterminerait les événements de nos vies. Cela a été invalidé scientifiquement, sur des panels de milliers de personnes dont on suivait l’existence, mais rien n’y fait. La question reste « à qui profite le crime ? ». Le pouvoir en place est sans doute bien content que sur le plan économique, on justifie les désastres à cause des astres. Cela leur profitait, déjà, dans le passé, où les civilisations aztèques ou mayas s’avéraient sur ce plan beaucoup plus violentes qu’on ne le pensait jusqu’ici. La superstition reste vivace pour que les élites maintiennent le plus dans la sujétion : comment maintenir la population dans l’ignorance de sa capacité à changer les choses par son poids majoritaire ? Dans les médias, c’est une incitation à la résignation, une « pédagogie de la soumission », comme le disait François Brune. Il faut penser que l’amélioration de notre sort viendra d’un alignement de Saturne avec Pluton… On avait finalement la même chose, le même refrain, dans l’antiquité, avec les stoïciens grecs, dont la devise était « mieux vaut changer ses désirs que l’ordre du monde ». L’astrologie repose sur le même principe : tout est déjà tracé. Ce qui est incompatible avec tout concept de liberté, puisque tout combat est vain, que tout est déjà écrit. Argent, santé, travail, puisque tout cela dépend de Neptune et Saturne, à quoi bon lutter ? Ces croyances prospèrent sur un lit d’ignorance, mais aussi de cette solitude qui règne largement dans nos sociétés.

Quand on n’a que l’amour…

Le Courrier picard, juillet 2021


L’article nous raconte l’histoire : « Admis chacun dans des maisons de retraite différentes, un couple originaire d’Ollezy a été séparé pendant près d’un an et demi.
2018 : atteint de la maladie d’Alzheimer, Daniel Lebon est admis à la maison de retraite de Ham, où son épouse lui rend visite quotidiennement. 20 janvier 2020 : victime d’un AVC, Paulette Lebon est hospitalisée à Saint-Gobain (…). En raison de la distance et du Covid, les époux n’ont plus aucun contact. 30 juin 2021 : Daniel et Paulette Lebon sont à nouveau réunis à la maison de retraite de Ham. »

Cette photo dit beaucoup de la vulnérabilité des corps, de l’usure précoce… Alors que tout est débarrassé des oripeaux et des oriflammes de la jeunesse, ces deux époux n’ont plus que l’amour, la qualité du lien qu’ils ont tissé l’un avec l’autre au cours de leur vie, malgré toutes les vicissitudes qui peuvent le rompre.
André Gorz l’un des principaux théoriciens de la décroissance, et son épouse Dorine, âgés l’un et l’autre de 84 ans, ont été retrouvés inanimés côte à côte, dans leur chambre, ayant certainement décidé de mourir comme ils avaient vécu l’essentiel de leur vie, ensemble. Il l’écrivait dans Lettre à D., paru en 2018. « Tu vas avoir 82 ans. Tu as rapetissé de 6 centimètres, tu ne pèses plus que 46 kilos et tu es toujours aussi belle, gracieuse et désirable. Cela fait 58 ans que nous vivons ensemble et je t’aime plus que jamais. »
Ce qui m’émeut, ici, c’est l’acceptation, s’aimer en dépit de l’usure.
Ce qui me révolte, c’est les emplois pénibles qui accélèrent l’usure des êtres, les petits salaires qui, en fin de carrière, condamnent à une allocation retraite insuffisante en remerciement de son assiduité durant 42 ans de cotisation – dans le meilleur des cas, les corps perdus, les poumons rongés par l’amiante. Comme ceux de mon père.
Tu paies au final l’addition, et la seule compensation reste l’amour que t’ont porté les autres. Même si on nous détourne sans cesse de notre vulnérabilité, on n’a finalement que l’amour, comme le chantait Brel.

Articles associés

Pour ne rien rater, inscrivez-vous à la

NIOUZLAITEUR

Les plus lus

Les plus lus

Retour en haut