Francis, barbe poivre et sel sous son crâne rasé, rigole. Mais à moitié, seulement : y a un an à peine il pensait vivre une retraite peinard, se la couler douce entre deux séances de Taï chi, mais non. Raté. Il connaît la coupable, remarquez. Et il hésite pas à balancer. « C’est ma femme, Martine, qui m’a traîné là. Sinon, je serais resté seul dans mon coin. »
C’était écrit, sans doute. « J’ai toujours été très à gauche, et j’ai toujours vécu à Amiens. Alors Fakir, on le lisait depuis le début, avec ma femme, et on a vite été abonnés. » Puis ce furent les réunions, les manifs, et Martine fit le reste, en le traînant « là », donc : dans les locaux du canard, pour une petite surprise… Des tonnes de bouquins à envoyer, nos Gens de France, le rush quand vos commandes sont arrivées en masse à l’automne dernier : « 48h à faire des cartons. » Depuis il enchaîne, entre collages d’affiches « avec Fifi et Flo, c’est nos maîtres, ils nous apprennent tout » ou l’orga de la Fête des Mille Bastilles le 14 juillet, « deux jours levés à 5h00 et couchés à minuit ». Il charge et décharge des camions, et tant pis s’il en racle un contre un mur de temps à autre, ça fait des souvenirs. Mais ce qu’il préfère, c’est la bière – enfin, la servir : « Tu rigoles avec les gens à chaque pression que tu tires, et ça, c’est ce qu’y a de mieux, franchement : les gens, les gens, les gens. » L’arrière-cuisine, il s’y sent bien, aussi, faut dire. Le genre de gars qui préfère être derrière sur la photo. « J’aime l’ombre. Eh, tu vas vraiment passer mon portrait ? Non, parce que, j’aime pas trop la lumière… »
Oui mais voilà, Francis : tu devras composer avec la gloire, désormais. Et puis, c’est pas toi qui fixes les règles, à Fakir. T’en sais quelque chose, non ? « J’ai l’impression de bosser tous les jours, avec toutes ces actions : les jouets de Noël, les produits pour les étudiants dans le besoin, les jouets de l’été, les tracts… Mais franchement, c’est plus sympa que le boulot, niveau professionnel, je veux dire. » Avant, il était formateur informatique pour le Conseil régional. « Là, je ne suis qu’avec des gens vachement chouettes, je rencontre du monde, on a sympathisé avec les anciens de Whirlpool. Et on sait ce qu’on veut : construire quelque chose. »
Et sinon ? Entre deux séances d’exploitation ? « Ben, du Taï chi chuan. » Ah oui, c’est vrai. « C’est un art martial ‘‘interne’’, contrairement à la baston. Avant, j’ai fait du judo, de l’aïkido, mais j’ai arrêté. Là, c’est zen. Tu vois les vieux chinois qui se rassemblent dans la rue et bougent tout doucement ? Ben voilà, c’est ça. » De la zénitude : il t’en faudra plus que tu ne le penses, Francis. L’exploitation ne fait que commencer…