Qui fabrique mon Bic ?
Dans son rapport d’activité de 2018, le Groupe Bic insiste sur son « attachement au bien-être et à l’évolution de tous ceux qui œuvrent à la prospérité de l’entreprise ». Une belle déclaration. Mais sur ses 14 000 salariés, ils sont maintenant plus nombreux dans des pays du Tiers-Monde (Tunisie, Kenya, Inde, Équateur) qu’en France, où Bic ferme des usines comme à Vannes en 2019, ou supprime une centaine de postes sur son site historique de Clichy (« Plan Bic 2022 : invent the Future »).
Logique quand le salaire médian mensuel du salarié kenyan est de 146 $, pour 280 $ en Tunisie et 507 $ en Equateur. Grâce aux économies réalisées, le groupe peut « étendre son influence partout dans le monde » et s’offrir une usine à Mumbaï en Inde pour la bagatelle de 161 millions. Car si Bic produit du petit (crayons, rasoirs, briquets), le groupe voit grand : 26 usines réparties partout dans le monde, 628 millions d’euros de chiffres d’affaires en 2020 pour 157 millions de dividendes.
De quoi produire deux millions de stylos cristal par jour (soit 80 000 par heure), même avec des employés de moins en moins nombreux tant les « process » sont automatisés, la robotisation systématisée.
Qu’est-ce que j’avale en mâchonnant mon Bic ?
Le hic avec le Bic : c’est pas écologique. Si le stylo est un objet comme tant d’autres issu de la pétrochimie (comptez une tasse à café de pétrole brut par stylo), c’est le volume qui est effrayant. 100 millions de Bic sont vendus par an en France : trois par seconde (voir le site planetoscope.com pour le compteur de Bic achetés en temps réel) ! Le directeur du Développement durable pour la fédération de la plasturgie, Marc Madec, reconnaît lui-même qu’on retrouve partout dans l’environnement les matériaux de ces stylos et qu’ils ont « un impact négatif ». D’autant qu’ils sont habilement conçus comme jetables… « Les recharges sont plus chères que le produit lui-même », justifie la responsable papeterie d’une grande surface.
Ainsi les Bic viennent-ils grossir les 8 millions de tonnes de déchets annuels échouant dans les océans. Une pollution généralisée qui fait que nous avalons le poids d’une carte bleue, 5 à 10 grammes, de matières plastifiées, en moyenne, chaque semaine… Si les phtalates (perturbateurs endocriniens) ajoutés dans le capuchon ont été interdits, ils sont désormais remplacés par des diisononyles aux effets également nocifs sur la santé. Alors que des plastiques végétaux (à base de maïs) ou recyclés existent, certes plus coûteux. Pour l’heure, seuls quatre salariés sur les 14 000 du groupe pointent au service développement durable.
Qui gagne du fric grâce à Bic ?
C’est Marcel Bich, dit le « Baron Bich », qui racheta le brevet du crayon à bille (ce qui lui vaudra un procès pour plagiat, réglé financièrement), et qui aura dans la foulée l’idée du stylo jetable. Le Bic cristal fera sa fortune.
Presque tous ses descendants siègent aujourd’hui encore au sein du conseil d’administration. Voilà l’exemple type du capitalisme familial, où la fortune est concentrée au sein d’une dynastie. Après Marcel, c’est son fils Bruno qui a pris les rênes de l’empire, et qui prépare les petits enfants. La fortune des Bich est estimée autour du milliard d’euros, bon an mal an. Dans le classement des plus riches Français installés en Suisse (sans doute pour la beauté de ses lacs de montagne), ils émargent en huitième position. D’ailleurs, les Bich ont des goûts simples. Le baron Bich, qui tenait ce titre de noblesse de son aïeul, aimait chasser sur ses terres de Sologne avec un autre milliardaire : Marcel Dassault. Bruno Bich, l’actuel dirigeant, vit quant à lui au manoir Saint-Germain dans l’Oise, propriété de la famille depuis 1939 et de diverses sommités de la noblesse depuis le XVIe siècle. N’allez pas y perdre votre stylo : au vu de la taille de la bâtisse, il vous faudrait quelques semaines de recherche pour le retrouver.