C’est vrai : les extrêmes se rejoignent

Extrême droite et extrême argent : voilà le nouvel ennemi, la nouvelle bête qui nous fait face.

Publié le 25 février 2025

« J’ai entendu le cri d’alarme… »

Allons bon. Je dresse l’oreille, en entendant la radio, ce matin-là,  en plein bouclage. De qui Jordan a-t-il entendu le « cri d’alarme » ? Des 1300 salariés licenciés de Michelin, qui viennent de découvrir que leurs actionnaires allaient se gaver de près d’un milliard de dividendes ? Celui des soignants, qui le hurlent, même, qu’on meurt désormais à l’Hôpital, en France, faute de moyens et de personnels ?

Non : « J’ai entendu le cri d’alarme de Bernard Arnault. » Jordan Bardella, puisque c’est bien de lui qu’il s’agit, a entendu chouiner le milliardaire français, assis sur une fortune de 200 milliards, ses yachts, ses châteaux, et une bonne dose d’optimisation fiscale. Jordan entend la complainte, parce que, voyez-vous, « un dirigeant d’entreprise qui prend des risques, qui investit, qui se lève parfois très très tôt, bien avant ses salariés, et qui vient dire : ‘‘C’est un enfer fiscal de travailler et d’investir en France’’, on ne peut pas être sourd à ce cri d’alarme. » On objecterait bien à Jordy que si son ami Bernie investit, c’est surtout avec les aides de l’État, que s’il prend des risques c’est surtout pour ses employés et pas vraiment pour lui, hein, on ne va pas se mentir, et qu’on n’est pas certains non plus qu’il se lève plus tôt que les ouvrières qui fabriquent ses costumes en 3×8.

Mais là n’est pas l’essentiel, loin s’en faut.

L’essentiel, c’est d’entendre le leader du Rassemblement national s’assumer de plus en plus ouvertement, et son parti avec lui. Et voilà que la frontière s’efface, qu’apparaît plus que jamais la consanguinité entre l’extrême droite et la droite libérale.

Les exemples sont nombreux, en la matière.

Prenez la tronçonneuse, par exemple.

Oui, la tronçonneuse d’Éric Ciotti (en plastique, il ne voulait pas se blesser). L’ancien chef des LR, passé allié du RN, la brandissait devant les médias interloqués, le 21 janvier dernier, pour mieux singer Javier Milei – le président argentin, qui aime ainsi symboliser sa volonté de tailler dans les dépenses sociales. Ciotti est un formidable trait d’union des droites extrêmes libérales internationales, à défaut d’autre chose : lui promet 600 milliards d’euros de coupes dans les dépenses publiques en France, quand Elon Musk, de l’autre côté de l’Atlantique, vise les 1000 milliards de dollars.

On a évoqué Ciotti, on aurait pu rappeler Valérie Pécresse, ex-candidate LR à la Présidentielle, qui proposait à l’époque la création d’un « comité de la hache » pour tailler les dépenses publiques et sociales. Et redisait sur X en novembre dernier toute son admiration pour le nouveau meilleur ami de Trump : « J’en ai rêvé, Musk va le faire. » On pourrait parler de Christelle Morançais, la numéro deux du parti d’Édouard Philippe, l’ancien premier ministre macroniste ex-LR nouveau Horizons bientôt on-ne-sait-quoi, elle qui sort son sécateur quand elle entend le mot « culture » : cent millions d’euros retranchés, en particulier pour les associations, dans la région qu’elle préside des Pays de la Loire. Au point qu’Édouard Philippe voit déjà en Morançais, ancienne participante à la Manif pour Tous, sa future ministre de l’économie, elle qui trouve Musk « génial ».

Tout ce petit monde se retrouve sur l’essentiel, l’économie. Et on n’est pas à un ou deux saluts nazis près.

Bref, on le disait déjà, il y a quelques mois, dans ces colonnes : extrême droite et extrême argent ont fusionné. Politiquement, il faut désormais lier les deux : l’une ne va pas sans l’autre. C’est que rien dans le projet des uns ne dérange fondamentalement les autres. Ils ont les mêmes objectifs, sur le plan social. Le jour même de la déclaration d’amour de Bardella à Arnault, on apprenait que le RN s’abstiendrait sagement de voter la proposition de loi instaurant un impôt minimum de 2 % sur le patrimoine des ultra-riches. Un épisode parmi d’autres. Comme la droite (incluant la Macronie, évidemment), le RN a voté contre l’indexation des salaires sur l’inflation (le 20/07/2022, à l’Assemblée). Comme la droite, le même jour, le RN a voté contre la hausse du SMIC. Comme la droite, le 25 octobre dernier, le RN a voté contre le retour de l’ISF. Comme la droite, le RN vote contre la hausse de 8 milliards d’euros d’impôts sur les grandes entreprises…

Jusque-là, le parti lepéniste évitait de trop l’afficher. C’est que ses électeurs, en particulier les plus modestes, sont en demande d’un état social et protecteur. Alors, l’imposture a la vie dure. Difficile aujourd’hui, toutefois, de ne pas faire allégeance aux « grands » patrons comme Bernard Arnault : l’odeur du pouvoir est là, qui se rapproche, et leur soutien sera précieux. Car les connexions entre leurs mondes et leurs intérêts sont désormais flagrantes. Voir ce « grand capitaine d’industrie » d’Arnault (c’est ironique, hein), ce « créateur d’emplois » (c’est encore ironique), ce chouchou de la Macronie jubiler à l’investiture de Trump, filmant, se prenant en photo, n’étonna que les naïfs. Business is business, comme pour les géants de la Tech qui ont plié le genou devant le président américain : si on se gave autant avec l’extrême droite qu’avec la droite, alors frayons avec l’extrême droite.

Tous ont le même projet économique et social : trancher au maximum dans l’école, dans l’hôpital, dans les services publics, et qu’importe le racisme, qu’importe les valeurs ou le reste. Business is business. Les uns et les autres dirigent ensemble, désormais. Le RN a joué une fois la carte de la censure, histoire que leurs accointances ne deviennent pas trop voyantes pour son électorat, mais la grande trouille de Macron, de la droite et du RN reste de voir arriver la gauche aux responsabilités.

Pour dépasser ce barrage, il faudra donc opposer à ce double projet qui a fusionné une triple riposte : combattre leur atavisme raciste de division de la société – les fondamentaux des dirigeants du RN sont toujours là –, mais aussi démasquer l’arnaque, et enfin œuvrer pour un vrai progrès social de rupture, parce que les attentes des gens aux vies laminées par trente ans de délocalisations et de culte du profit à tout crin sont énormes en la matière. Et qu’on ne pourra rien faire sans eux ni leur soutien.

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