« Je pensais faire semblant de l’étrangler… »

Jacques en faisait des cauchemars, depuis soixante ans, de ses nuits dans la guerre d’Algérie. Il voulait nous parler, pour « libérer sa conscience ». La même chape de plomb qui pèse sur le héros de Laurent Mauvignier, dans Des hommes. Jusqu’à en faire une épave.

Publié le 3 décembre 2021

« N’aie pas peur : je ne suis pas un tortionnaire mais j’ai assisté à tellement de choses que les SS en rougiraient. Si ça t’intéresse, je suis à ta disposition. Sinon, je resterai avec mes mauvaises nuits. » L’écriture est sèche. La main n’a pas tremblé. Jacques a manuscrit sa lettre. Puis sa fille Angélique l’a scannée et l’a envoyée dans un courriel, accompagné de quelques mots. « Papa va avoir 83 ans. Il a fait la guerre d'Algérie et il n'en est pas fier. Il sait et je sais qu'il n'a plus des années à vivre et il aimerait soulager sa conscience avant de partir. » Angélique vient me chercher à la gare de Fumay, petite ville de la pointe des Ardennes, pour m’accompagner chez ses parents, qui vivent à Haybes. Le village est connu pour ses ardoisières et pour les massacres de la Grande Guerre. Le passé est toujours là, incrusté dans la pierre, près de la frontière belge. Angélique est émue. Elle sait son père hanté par la guerre d’Algérie mais ignore pourquoi, au juste. Jacques n’a jamais rien raconté à personne. Ni à ses amis, ni à ses enfants, ni même à sa femme, Ginette, qu’il a épousée il y a soixante ans. Leur coup de foudre remonte au 14 juillet 1958. Ce soir-là, Jacques est rond comme une queue de pelle mais déjà Ginette sait qu’elle partagera sa vie avec lui. Jacques m’invite à boire le café sous le cerisier. Nous sommes tous les deux, côte à côte. Il prend une grande respiration. Â

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