Jusque là, Vincent, avec son côté zébulon sage, petites lunettes cerclées et sourire en coin, ne militait pas vraiment. Tout au plus quelques vêtements à Calais, pour les migrants. Mais Fakir et lui, c’était écrit. « Parce que Merci Patron !, c’est mon histoire. Celle de mes parents, qui se font virer après trente ans dans l’usine de vélos qu’on délocalise. La maison qu’on est obligés de vendre. J’avais douze ans, c’est des souvenirs d’enfance qui te marquent… J’ai emmené mes parents voir le film. Ils étaient vachement émus. Dans les familles prolos, par honte, tu dis rien de tout ça, la maison que tu vends, les ménages pour survivre. Là, un film le disait. J’ai voulu rencontrer le bonhomme derrière ça. »
Vincent fréquente l’équipe du canard, donc, enchaîne les réunions militantes, puis arrive, très vite, la campagne des Législatives. Il mord dedans avec l’énergie du jeune converti. « Ça a été intense. Je faisais tout, porte‑à‑porte, tractage. Je ne voulais rien rater. Même pour une demi‑heure de bénévolat, je faisais l’aller‑retour. » Précision : il habite alors en Normandie, où il bosse comme pâtissier.
« Deux heures aller, deux heures retour, mais c’était pas un problème.
— Mais avec ton nom, Vincent Picard, je pensais que t’étais Picard…
— Y a pas plus traître qu’un nom.
— Comment tu t’es retrouvé à vivre ici ?
— Le hasard fait bien les choses : je me suis séparé de ma femme…
— Ouais, enfin…
— … et elle s’est installée à Abbeville avec notre fils. Comme on est en garde alternée, j’ai suivi. »
Il plaque son boulot, donc, mais Fakir l’attendait : colis, enveloppes, tables à tenir et camions à décharger – du classique. Jusqu’à J’veux du soleil ! Là, Vincent saute au volant du mythique camion Fakir, fait la tournée avec sono, matos, journaux, banderoles, livres, avale les kilomètres, prépare pendant deux mois les débats partout où il passe. Une trentaine d’étapes partout en France au compteur : « Y avait une entraide et une solidarité qui m’ont marqué, partout où on passait. Mais quand j’ai fini, j’étais mort. » Et « davantage conscientisé », aussi. « Je voulais plus bosser pour un patron, je devais me reconvertir. » Il apprend le boulot d’éducateur sur le tas, enchaîne les CDD précaires. « Mais ça y est : je viens de signer mon CDI : des ateliers pâtisserie avec les résidents d’un Ehpad ! » Exploité et pâtissier : on n’est pas près de le laisser revoir sa Normandie…