La revanche du crapaud sonneur

De vieux paysans du coin, des jeunes zadistes aux cheveux longs, des écrevisses à pattes blanches , et un crapaud à ventre jaune : il fallait bien ça, contre un projet de bétonnage…

Publié le 15 février 2021

« Mais qu’est-ce que c’est que ça ? » Murielle a failli en perdre le contrôle de sa bagnole, en passant le long de la Bourges, rivière qui serpente en Ardèche. « Les arbres étaient coupés, les terres dépecées. Ça défigurait notre vallée, jusqu’ici préservée, avec une coulée basaltique. C’est merveilleux. C’étaient même les dernières terres plates et cultivables du village, et un terrain de jeu pour les enfants ! » Nous sommes à l’automne 2019, et Murielle se renseigne. « Le projet s’est fait en catimini, les citoyens n’étaient pas au courant, raconte Sylvain, l’un des animateurs du collectif des Ami‑es de la Bourges. Quand on a découvert son ampleur, on était éberlués…. »

Le projet, donc, c’est une basilique de 50 m de haut, plus deux bâtiments, plus un parking, des piliers et une passerelle au‑dessus de la rivière, 3000 m 2 au sol pour accueillir, deux fois par an, le millier de pèlerins qui viennent voir la Vierge du village. « Depuis vingt ans, la congrégation de la ‘‘famille missionnaire de Notre‑Dame’’ rachète les maisons à rénover dans le village de Saint-Pierre-de-Colombier, poursuit Sylvain. Et s’ils comptent 33 membres qui habitent ici, d’après un constat d’huissier, 130 sont domiciliés administrativement à la même adresse, au presbytère. » De quoi, dans un village de 390 âmes, faire et défaire les maires, pour cette communauté très, très traditionaliste.

Surtout, « on est dans un coin où on refuse un permis de construire pour un abri de jardin ou un velux, comment était-ce possible ? », interroge Murielle. En l’occurrence, la Direction régionale de l’environnement s’est montrée particulièrement arrangeante. La mission demande à être dispensée d’étude d’impact environnemental, en plein Parc naturel régional ? Accordé ! Une dérogation pour « destruction d’espèces protégées » ? Accordée ! « Et ils ont commencé à couler des piliers dans la rivière, alors que ce n’était pas autorisé », déplore Sylvain.

Face au béton qui avance, le collectif, donc. « On a rencontré les anciens du village, qui se battaient contre l’implantation de la communauté, mais qui ne voyaient pas trop le côté environnemental, reconnaît Murielle. On a échangé et on s’est rapprochés. » Ils tractent sur les marchés, à la sortie du ciné, organisent des événements festifs pour se faire entendre, dans un bled où l’école et la plupart des commerces ont fermé. Pendant le premier confinement, ils s’activent sur les réseaux sociaux. Et début juin, tout bascule, par une sorte de miracle : un promeneur déconfiné prend en photo un crapaud sonneur à ventre jaune, espèce rare, juste devant le chantier. Le cliché devient viral. Une enquête est diligentée : le technicien découvre, sur place, des loutres, castors, écrevisses à pattes blanches, grillons des torrents, autant d’espèces elles aussi protégées. « Et là, on a rallié de jeunes Ardéchois de milieux très différents, des étudiants, des jeunes profs, des élagueurs. Ça commençait à parler de Zad ! » rigole Murielle. Les voilà d’ailleurs qui s’installent avec des Gillets jaunes ! « Les anciens du village étaient très réticents, au début : ‘‘On ne va rien maîtriser, les gens vont arriver de partout !’’ Finalement, on a tous passé trois semaines de rencontres exceptionnelles. Ça m’a réconciliée avec l’espèce humaine. J’ai 51 ans, écolo depuis mes vingt ans, mais je n’y croyais plus. Là, j’ai vu des gens faire leur première manif, ou Marie-Hélène, 77 ans, s’harnacher dans les arbres pour protéger la rivière. »

La préfète, qui n’avait jamais répondu aux sollicitations du collectif, débarque trois heures après l’installation de la Zad. Faut dire qu’elle avait déjà vécu celles de Notre‑Dame‑des‑Landes et de Bure… Contactés, les journalistes se font l’écho de l’affaire, plusieurs élus apportent leur « soutien inconditionnel ». Résultat : la préfecture exige 48 heures plus tard l’arrêt des travaux, en attendant une véritable étude d’impact, enfin, qui devrait tomber à l’été 2021. Et « maintenant que ça a dépassé l’histoire de clocher, on y croit ». Appelez ça l’espoir ou la foi, tant qu’il s’agit de gagner à la fin…

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