« Grâce à Littlecorner.com, impossible de passer à côté de votre publicité. Votre marque deviendra la meilleure. »
Qui n’apprécie pas ce rare, ce doux, ce calme moment de tranquillité : pisser ? Ces minutes de repos, quand dans la joie du besoin qui s’accomplit, en même temps que la vessie se libère, l’abdomen reprend son souffle, l’esprit respire, s’apaise ?
Dans le « petit coin » de ce café parisien, j’étais donc en train d’uriner quand, surprise, stupeur : à vingt centimètres de mes yeux, posé au-dessus de la vespasienne, un écran m’impose ses certitudes. « Impossible de passer à côté de votre publicité. » Et en effet : comment échapper à ce message, lumineux, en couleur et en mouvement, qui s’affiche au-dessus de chaque urinoir, sur chaque porte de ce sous-sol ? A moins de fermer les yeux et de risquer un accident du genre dégât des eaux…
Tandis que défilaient les annonces pour Uber, Bnp-Paribas, la Fnac, j’ai songé : « Même ici ! Même ici, les publicitaires envahissent notre temps de cerveau disponible ! Comme Poutine ! Ils viennent nous traquer jusque dans les chiottes ! Même ce contentement millénaire, et même plus, qui nous vient de la nuit des temps, même ça, ils vont réussir à le salir ! »

Ces dernières années, c’est une invasion. A la gare du Nord, j’attendais mon copain Cyril. Je lui avais donné rendez-vous sous le tableau des départs, qui fait « tchic-tchic-tchic-tchic », avec les indications « Bruxelles », « Amsterdam », « Amiens » ou « Lille » qui tournent. Je l’ai cherché, en vain. Ce panneau avait disparu. A la place, j’ai levé le nez, j’ai regardé alentour, et sur quoi suis-je tombé ? Sur un immense affichage publicitaire, électronique, animé, pour la nouvelle Audi. Les trains, eux, étaient désormais indiqués par des écrans Samsung, de type LCD, devant tous les quais, par dizaines.
Je me suis informé : j’ai appelé la SNCF. Un peu par nostalgie, une époque disparaît : dans les films policiers, le héros arrivait à la gare en courant, ratait le départ à une minute près, et on entendait le fameux « tchic-tchic-tchic-tchic ». J’ai téléphoné, aussi, parce que ces dizaines d’écrans, j’ai pensé, ça doit quand même consommer plus que le seul panneau central.
« Toutes les gares vont passer au numérique, m’a informé la com’ de la SNCF.
– Pourquoi? je me suis renseigné.
– On ne roule plus en 404, on ne tape plus à la machine à écrire, eh bien là c’est pareil, c’est le progrès.
– Ça représente quelle consommation d’énergie ? j’ai insisté. Vous avez une idée ?
– Moi, non, pas du tout, je n’en sais rien. Mais le tableau de publicité, pardon, d’information, rapporte un peu d’argent à la gare. »
La gare du Nord détient désormais le record, avec cent cinquante panneaux publicitaires. Ces écrans saturent l’espace public, dans les stations de métro, les pompes à essence, les centres commerciaux… Sur les trottoirs, aussi, car les villes s’y mettent, comme en Normandie : « Aujourd’hui, les équipes digitale et commerciale de Clear Channel sont ravies de présenter notre offre #DOOH dans les rues de Caen : 60 écrans outdoor au cœur de la ville, à proximité directe des commerces et des transports pour s’adresser aux consommateurs ! » Dans le communiqué de presse, on peut découvre les détails de cette bonne nouvelle : « Plus de 1000 faces publicitaires 2 m² et 8 m² ainsi que 70 écrans digitaux vont ainsi permettre aux annonceurs de bénéficier de cette audience de plus de 400 000 habitants, et viendront compléter l’offre déjà existante en print et digital au sein des principaux centres commerciaux de l’agglomération (Mondeville 2, Caen Saint-Clair, Caen Côte de Nacre). » Mulhouse a installé dix-sept panneaux vidéo, début 2018. Soixante à Rennes, autant à Nantes, et bientôt à Troyes, Bordeaux, Strasbourg. Avec un parfum d’écologie : Clear Channel diffuse parfois un petit documentaire Brut Nature…
Le « Digital Out-Of-Home » (DOOH), voilà le nom donné par le secteur à cette offensive, avec un budget qui doublé en trois ans. « C’est une révolution pour les annonceurs de pouvoir programmer eux-mêmes leur campagne, de façon centralisée et de pouvoir y associer des ciblages data » explique Marie Le Guével, directrice générale d’une entreprise spécialisée en « branding et retargeting » : gestion de marques et pubs ciblées, en fonction des centres d’intérêt du consommateur.
Car on les regarde, mais ils nous regardent aussi ! Dotés de capteurs, ces écrans nous scrutent avec des caméras, ou avec des capteurs thermiques, de quoi mener une analyse fine : le message est-il reçu ou non? Sur quelle « cible » ? Un Big Brother qui nous espionne dans les rues, dans les transports… et jusque dans les toilettes, donc !
La pub et moi
C’est un marqueur chez moi : l’anti-marques. J’ai grandi dans un collège privé, au royaume des chemises Naf-Naf et des blousons Chevignon. A chaque récréation, la conversation reprenait sur ces signes extérieurs de richesse, sur ces totems de groupes. Auxquels je n’appartenais pas : j’arborais des pulls tricotés par une marraine, des pantalons qu’avait déjà vêtu mon cousin Julien, puis son frère Antoine, qui atterrissaient dans mes armoires, et par fierté, par fierté familiale, par fierté de « classe » peut-être, je ne les aurais pas troqués contre des Lacoste. Je les emmerdais. Tout comme me dégoûtait que beaucoup communient sans foi, en songeant à la montre en or ou à la gourmette, dans cet établissement catholique. Non pas que mes camarades fassent leur communion, je respecte la foi, je l’admire même. Mais, justement, cette hypocrisie me dégoutait. Ou que nos parents soient évalués à leur Mercedes ou BMW, et nos métiers, demain, au nombre de zéros en bas de la fiche de paie…
D’instinct, j’étais contre la pub. Contre le consumérisme : se loger, se nourrir, se vêtir, se soigner, bien sûr, tout cela dignement, mais le reste ? Les montagnes de cadeaux à Noël ? La course à l’électronique ? Le nouveau modèle de Renault ? J’étais habité, mais au fond je crois que nous le sommes tous, d’un autre sens de l’existence, à chercher, sans jamais le trouver, mais pas ça, pas cette orgie d’écrans 3D et de voyages à Acapulco low-cost. Puis j’ai rencontré des livres, François Cavanna et sa Jeune fille sur un tas d’ordures, François Brune et Le Bonheur conforme, Herbert Marcuse et L’Homme unidimensionnel, qui m’ont aidé à le penser, à le formuler.
Mais franchement, je me disais : c’est foutu.
La pub a vaincu.
Elle s’est installée dans les têtes.
Elle a forgé les imaginaires.
La grosse voiture qui amène la belle gonzesse.
Le i-Phone 11 qui vous fait des amis.
L’hiver au soleil de la Guadeloupe.
Avec les politiques comme doublures : croissance, croissance, croissance…
L’homme réduit à ces fonctions, produire – consommer, produire plus pour consommer plus, comme le hamster dans sa cage.
Je pensais : nous avons perdu ce combat, décisif.
Mais j’ai repris espoir, ténu : grâce à l’écologie. Oui, la crise climatique est aussi une chance…
Car vous voyez les temps étranges que nous vivons : certes, la publicité poursuit son invasion. Mais on perçoit désormais la résistance en face, une résistance qui ne recule pas mais qui avance. Une résistance, surtout, qui trouve un écho dans bien des cerveaux. Tellement la contradiction est aujourd’hui évidente, criante : la planète brûle, et pourtant, sur toutes les chaînes, sur les murs de nos villes, du matin au soir, les multinationales nous répètent leur propagande : « Achetez ! Achetez ! » Ce n’est plus tenable.
Ce vendredi matin, d’ailleurs, Valérie Masson-Delmotte, climatologue, co-présidente du GIEC, inaugurait la « convention citoyenne pour le climat ». Vous savez, le genre de loft-story, cent cinquante personnes tirées au sort, enfermées ensemble, et à la fin doivent en sortir des mesures écolos. Cette scientifique aurait pu se limiter à des statistiques, les + 5°, la fonte du permasol, les scénarii catastrophe, mais non, elle a pointé ce fossé mental : « On dit aux gens, d’un côté, qu’il faut baisser les émissions des gaz à effet de serre. Et de l’autre côté on est submergés de publicités qui poussent à faire l’inverse. Donc ça créée une espèce de confusion, les scientifiques parlent de dissonance, on nous dit des choses contradictoires. Je pense donc que la question de la publicité, c’est quelque chose d’important et qui est à considérer. »
Qu’une officielle le fasse, dans ce lieu officiel, c’est un cri : la bataille est rouverte. Et pas seulement par une poignée d’agités : elle est rouverte dans tous les esprits. Préparons nos munitions…

Des faits sur les écrans numériques
Énergie. Un écran lumineux de 2 m² nécessite au moins 7000 KWh/an. Soit la consommation d’un couple avec enfant. Un gaspillage tel que, dans ses analyses prévisionnelles, le distributeur d’électricité RTE parle de consommations « superflues »… C’est-à-dire des consommations qui devraient être supprimées au moment du pic de consommation, entre 18 et 21h.
Matériaux. Pour fabriquer un écran de 60 pouces, soit 1m² de surface, il faut sept tonnes de matériaux et 550 kg de CO2 sont émis. Soit plus qu’un trajet en avion Paris-New York.
Lumière. Les écrans numériques, à base de Led, émettent une lumière particulière, dans la partie bleue du spectre. D’après l’Anses elle-même, l’agence de sécurité sanitaire, « la lumière bleue est reconnue pour ses effets néfastes et dangereux sur la rétine, résultant d’un stress oxydatif cellulaire. »
Sommeil. D’après le bureau d’étude DarkSkyLab, l’introduction de panneaux publicitaires numériques à Paris aggraverait la pollution lumineuse. Or, « la population urbaine risque de voir son horloge biologique se dérégler, car cette luminosité stoppe la sécrétion de mélatonine, une hormone responsable de sa régulation. La qualité du sommeil s’en trouve perturbé, le stress augmente et cela accroit le risque de cancer, de diabète et de dépression » (Les Echos).
Biodiversité. D’après une étude européenne, citée par Greenpeace, « la pollution lumineuse est la deuxième cause de mortalité chez les insectes, ce qui met en danger la fructification et la reproduction de la flore. Les éclairages nocturnes entraînent, entre autres, la désorientation des oiseaux, et troublent le nourrissage des chauves-souris. »
Des faits sur la pub en général
Matraquage. D’après les chercheurs, 10 000 marques entreraient chaque jour dans notre champ visuel, et nous serions quotidiennement soumis à deux mille messages publicitaires.
Obésité. D’après l’Organisation Mondiale de la Santé, « il existe des preuves importantes que le marketing et la publicité contribuent à l’épidémie d’obésité infantile ». Un quart des enfants obèses ne le seraient pas sans la publicité télévisée pour les aliments gras ou sucrés.
Enfance. « Avant sept ans, prévient le psychiatre Serge Tisseron, les enfants reçoivent une pub de la même manière qu’un documentaire ». 75% des marques découvertes avant l’âge de quinze ans restent les favorites à l’âge adulte. 71 % des parents disent que leur enfant est influencé par les publicités dans ses préférences alimentaires… et 40 % témoignent qu’« il est devenu très difficile de résister à ces demandes, au regard de la pression sociale » (étude Unaf, 2006).
Santé mentale. Des chercheurs en sciences cognitives, dont le neuroscientfique Mehdi Reguine-Khamassi, alertent : « Avec ses images de marques ressassées, avec ses stimulations positives, la publicité dérégule « le système de récompense », provoque des troubles psychologiques et psychiatriques, tels que les addictions aux drogues, le jeu compulsif, la dépression, les troubles du déficit de l’attention. » D’autant plus chez l’enfant.
4×4. 3,5 milliards, c’est le budget consacré par les marques automobiles pour promouvoir leurs 4×4. Rebaptisés SUV : « sport utiliy vehicle ». Gros 4×4, quoi. Les ventes de ces modèles ont en France grimpé de 30 % en un an ! Multipliées par sept en dix ans ! Et alors que le secteur automobile devait baisser ses émissions carbone, au contraire, il les augmente.
Croissance. La publicité incite, bien sûr, à la consommation. Deux économistes américains, Benedetto Molinari et Francesco Turino, estiment que, aux Etats-Unis, « la publicité augmente les heures travaillées de 10,9%, le PIB de 6% et l’investissement de 4,28% ».
Imaginaire
Voilà, je livre des faits. Des statistiques. Des chiffres. Avec des scientifiques et des études. Mais en vérité, le combat est d’une toute autre ampleur, d’une autre nature : que signifient aujourd’hui la réussite ? Le progrès ? Quel est le sens de l’existence ? Ces questions, l’humanité se les pose à tâtons depuis la nuit des temps. Faut-il laisser les multinationales, les Apple, les Dior, les Peugeot, y répondre pour nous, et y répondre dix mille fois par jour ? Nous matraquer que le bonheur, la réussite, le progrès passent par la dime que nous leur verserons ? Par le nouvel i-Phone 11, avec frigo connecté et bientôt la 5G ?
Ces questions relevaient, jusqu’alors, d’une résistance individuelle, un peu philosophique, métaphysique. C’est un enjeu vital, désormais, oui, vital, au sens premier : notre survie en dépend. Comme l’écrit Cyril Dion, le réalisateur, dans son Petit Manuel de résistance : « Aujourd’hui, c’est aux flancs que cet écrasant récit, fait de prouesses technologiques, de vacances sur les plages paradisiaques, d’écrans plats, de smartphones, de filles à moitié nues, de voitures serpentant à flanc de montagne dans des décors de rêve, de livraisons en vingt-quatre heures sur Amazon… que nombre d’écologistes se heurtent. Que pèse une campagne d’ONG face à des millions de messages contraires délivrés chaque jour par les marques, les chaînes, les ‘‘influenceurs’’ de toutes sortes qui inondent les réseaux sociaux ? Que pèse un post de Greenpeace International sur Instagram (628 000 followers) appelant à agir pour le climat, contre un post de Kim Kardashian (105 millions de followers) appelant à acheter son nouveau gloss à paillettes ? Approximativement 10 000 likes contre 2 millions. »

La planète ne sera pas sauvée, seulement, par des mesures techniques, ni même par des injonctions politiques. C’est une révolution de l’imaginaire qui est nécessaire, de l’imaginaire commun, mais aussi de l’imaginaire personnel, intime. Je dirais presque, un bouleversement spirituel : qu’est-ce que le bonheur ? Et vivre ensemble ? Est-ce que sans Rolex à cinquante ans, on a raté sa vie ? Est-ce que les gens qui n’ont rien ne sont rien ? Est-ce que notre statut se mesure, dans la société, à notre apparat, nos vêtements de marque, nos sacs de luxe ?
L’obsolescence des objets est programmée, mais c’est avant tout une obsolescence sociale : les i-Phone 7, 8, 9, 10, 11, se suivent et se ressemblent, année après année, comme des signes de distinction. Et peut-on élever ses enfants dignement sans leur offrir les dernières Nike « Just do it », Adidas « Impossible is nothing » ou Reebok « I am what I am » ? La publicité, par ses images, ses slogans, la publicité est là pour soutenir cette équivalence : avoir, c’est être. On n’achète pas une voiture, mais de l’amour, de la liberté, de la fierté, en une promesse jamais tenue, toujours frustrée.
Ce modèle d’hyperproduction, d’hyperconsommation, conduit à la consomption du monde, mais également des êtres. Il nous faut rompre. Un changement de cap s’impose, et c’est d’abord dans nos têtes qu’il nous faut une autre boussole : « les liens plutôt que les biens », « consommer moins répartir mieux », « la décence commune » plutôt que les fantasmes de « jeunes qui ont envie de devenir millionnaires ». La propagande consumériste doit cesser. Quelle contradiction, sinon, entre des parents, des enseignants, des éducateurs, qui forment une nouvelle génération à la sobriété, au sauvetage de la Terre, et « le temps de cerveau disponible vendu à Coca-Cola » !
Cette contradiction, les gens la ressentent.
L’anti-publicité est devenue dicible, audible. Sauf par les dirigeants…
Nos dirigeants
C’est l’avantage d’être à l’Assemblée : on les a en première ligne.
A l’occasion de la loi Énergie Climat, en Commission des affaires économiques, j’interpelais le ministre en transition François de Rugy sur les panneaux numériques en gare du Nord, l’invitant à faire reculer la publicité, qu’on élimine des têtes « un modèle de consommation, pour que s’y installe un autre : celui de la sobriété ». Lui a évacué mon exemple d’un « Monsieur Ruffin, je ne crois pas que la loi relative à la transition énergétique joue son avenir sur les panneaux lumineux de la gare du Nord », puis : « En ce qui concerne la sobriété, il faut que nous soyons clairs vis-à-vis de nos concitoyens. Qu’entend-on par ‘‘sobriété’’ ? Cela veut-il dire réduire drastiquement les consommations ? Si oui, cela ne concerne pas seulement la consommation de chauffage : les loisirs, mais aussi les déplacements pour les vacances sont en jeu. Si l’on prône la décroissance… »
Jamais, jamais autant que ce jour-là, avec cette réplique, il ne m’est apparu aussi déplacé comme ministre de l’Écologie. Parce que l’écologie réclame, avant tout, cette révolution de l’imaginaire. C’est un changement de cap qui est réclamée, et d’abord dans nos têtes : ralentir plutôt qu’accélérer. Ces questions, c’est au ministre de l’Écologie, ministre d’État, numéro 2, il paraît, dans l’ordre protocolaire, c’est à lui de les poser et de les imposer, de secouer et le gouvernement et le pays, de changer pas seulement l’orientation mais la boussole, fer de lance d’un monde qu’on ne fait qu’entrevoir. Alors là, que la perche lui soit tendue, et qu’il n’ait rien à dire sur la publicité, la consommation, le modèle de société, rien à dire sur les Audi, les i-Phone 8, les Chanel, les Herta, nos marques, nos maîtres, glorifiés sur les écrans des gares, des pissotières, des téléviseurs et des ordinateurs, rien à dire sinon de les défendre contre les « ayatollahs de la décroissance », c’est un flagrant délit d’imposture. Comme un ministre de la Défense qui sifflerait la Marseillaise. Comme un ministre de l’Intérieur qui hurlerait « Mort aux vaches ».
Elisabeth Borne lui a succédé. Je l’interrogeai donc, à son tour, dans l’hémicycle : « ‘‘À Punta Cana, il fait chaud tout l’hiver’’, ‘‘J’peux pas, j’ai Los Angeles’’ : voici les publicités de la compagnie XL Airways. ‘‘Prenez le train de vitesse. Lille-Lyon en moins d’une heure trente’’, pour la compagnie Hop ! On peut aussi trouver ‘‘Faites éruption en Sicile’’ ou encore cette publicité dans le métro : ‘‘Les trois quarts de la planète sont constitués d’eau ! Et vous, vous êtes là dans votre trou !’’. Nous sommes favorables à l’interdiction de la publicité pour le transport aérien. Ce secteur connaît une croissance de 5 % par an et ses émissions de gaz à effet de serre seront multipliées par quatre à huit d’ici 2050. Au-delà du sujet de la publicité, la question est celle du bonheur : est-ce demain, ou aujourd’hui ? Est-ce loin, ou ici ? Ce type de publicité suscite une frustration pour ceux qui restent, c’est-à-dire la moitié des Français ! Il favorise aussi la concurrence entre ceux qui partent au mieux en Ardèche, voire qui restent en Picardie, et ceux qui ont pu se rendre en avion en Italie, en Amérique du Sud ou en Birmanie ! L’objectif est d’aller toujours plus loin, en croyant y trouver le bonheur. Il nous faut rompre avec cette hyper consommation. Quel est votre projet pour le secteur aérien, madame la ministre ? Est-ce d’accompagner la croissance, voire de la souhaiter ? Ou bien avez-vous la volonté de diminuer le trafic aérien, en interdisant par exemple sa publicité ? »
Une intervention ponctuée, par mes collègues députés, de « Vous devriez aller en Amérique du Sud ! », « Arrêtez d’interdire ! », « Il est interdit d’interdire ! », « Vous n’êtes pas démocrates ! »
En réponse, la ministre s’est tue, se contentant de deux mots : « Avis défavorable ».
C’était faible.
C’était, je crois, la marque d’une faiblesse.
J’ai repris la parole : « Je ne comprends pas, madame la ministre. La lutte contre ces publicités devrait être au cœur de votre bataille pour la transition écologique. Celle-ci ne passera pas seulement par des mesures techniques, mais nécessitera un changement d’imaginaire. Vous devez nous dire si vous êtes favorable à la transformation de l’imaginaire, à la transformation de l’image du bonheur, du progrès, de la réussite dans la société ! »
Devinant qu’elle n’était pas à la hauteur de son rôle, et même si ce n’est qu’un rôle, elle a repris : « Il me semble très important de partager avec l’ensemble des Français l’objectif d’une société neutre en carbone, que porte le Gouvernement. Mais il est tout aussi important de débattre ensemble de la trajectoire qui nous y conduira. C’est tout le sens de la convention citoyenne pour le climat : trouver ensemble les bonnes réponses pour une société neutre en carbone à l’horizon 2050. »
Au-delà du « repousser à plus tard », c’est le vide, en face. Le vide d’arguments. Le vide de réflexions. Sans doute parce que, comme ministres, nous avons des technocrates desséchés, et non les penseurs engagés d’une transition. Surtout parce que, au fond, face à une contradiction aussi flagrante, eux-mêmes éprouvent un malaise. Qu’Elisabeth Borne reconnaîtra sur les 4×4 : « Certains constructeurs, à grand renfort de publicité, orientent les Français vers des véhicules à fortes émissions de CO2. C’est gênant pour la planète… » Gênant, oui, c’est le mot ! « C’est pourquoi nous avons retenu l’idée que toutes les publicités pour des véhicules comportent un message incitant à l’usage des transports en commun et des mobilités actives. » Le truc qui défile rapidement en bas de l’écran, en taille de police ‘‘3’’… Ça, c’est de l’écologie !

Discussion
C’est l’autre avantage d’être à l’Assemblée : les gens viennent volontiers rue de l’Université. Comme je préparais deux propositions de loi, l’une sur « le droit d’uriner en paix », l’autre pour « interdire les écrans de publicité numérique dans les lieux publics », mon collab’ Joseph a organisé une petite réunion. Avec Cyril Dion, champion de la Convention citoyenne pour le climat. Avec Thomas Bourgenot et Renaud Fossart, de Résistance à l’Agression Publicitaire, l’association la plus impliquée sur le sujet. Avec les collègues Mathieu Orphelin et Delphine Batho, avec les collabs d’autres députés, du PS, de la FI. Avec les ONG écolos aussi. Maxime Collin, pour France Nature Environnement, qui nous parle de l’impact sur les chauves-souris, des « seuils de luminescence », des décrets d’application qui se font attendre… Stéphane pour Agir pour l’environnement, qui l’interrompt un peu : « c’est leur tactique, nous enfermer dans les détails techniques. » Khaled Gaiji, pour les Amis de la Terre et leur campagne contre la surconsommation. Pauline, de Alternatiba, qui prépare la prochaine manif pour le climat : « C’est prévu pour le vendredi 28 novembre, le jour du Black Friday. » On a noté. Les « alterconsommateurs » d’Halte à l’obsolescence programmée :
« Vous avez une loi, bientôt, sur l’économie circulaire…
– Ah oui, c’est possible. J’en ai entendu causer. »
J’ai toujours honte, d’ignorer les affaires en cours dans ma boutique…
« Ça passe le 26 novembre en commission, en décembre dans l’hémicycle. »
Une adjointe à la ville de Grenoble, Lucille Lheureux, est arrivée en retard, avec son bébé sous le bras, lui donnant le sein durant la rencontre : « Au début du mandat, nous n’avons pas renouvelé le contrat avec JC Decaux, sans aucun frais, et avec une perte de recette de seulement 0,1% du budget. Il a suffi qu’on diminue les frais de protocole et c’était absorbé. Nous avons également interdit les panneaux de plus de 4m², à proximité des écoles, dans le centre-ville. Et ce Règlement local de la publicité (RLP), toute l’agglo l’a adopté, même les élus des petites communes, de droite, l’ont voté. Eux, c’était pour défendre les petits commerçants, préserver le cadre de vie, les communistes contre les multinationales, etc. Notre souci, c’est que le RLP ne permet pas d’intervenir contre les écrans dans le domaine privé visibles depuis l’espace public. Il faut un moyen de réglementer ce point-là. »
« Si on veut cibler la pub, j’ai conclu, ça ouvre une fenêtre d’opportunité. Dans la rue, avec les manifs pour le climat, si c’est posé comme mot d’ordre. A l’Assemblée, comme chambre d’écho, avec des amendements anti-pub dans la loi sur l’économie circulaire : plutôt que de recycler les objets, mieux vaudrait ne pas les produire. Dans les urnes, avec les municipales, si on pèse pour que les partis mettent la fin des panneaux dans leurs programmes. Et enfin, tout ce bruit, les citoyens réunis à la Convention l’entendront, et si jamais ils posent des mesures anti-pub puissantes, ça nous fera un point d’appui pour la suite. »
On ne coupera pas toutes les têtes de l’hydre publicitaire d’un coup. C’est un long combat, à coup sûr, que la libération de notre imaginaire. Mais nécessaire : un imaginaire désirable, pour un air respirable, une Terre vivable…