« Tu repère bien tes panneaux, pas les nouveaux modèles c’est du galva ça tient pas, tu prends perches, échelles, de vieilles affiches qui servent plus, tu les colles à l’envers, ça te fait un fonds blanc, et ça recouvre celles des autres. Tu laisses sécher un peu puis tu colles les tiennes. En voiture, ça se voit beaucoup mieux. Sinon, tu colles sur des palettes que t’accroches aux pylônes. Une palette par kilomètre. T’en as 90 à mettre entre Amiens et Abbeville, aller-retour. » Fifi et Flo se lancent dans un cours magistral : le collage pour les Nuls. Je pourrais écrire un bouquin, désormais…
Fifi et Flo, Flo et Fifi, flanqués de Happy, leur caniche blanc : depuis quatre ans, ils tapissent toute la Somme de « Merci Patron ! », de « Votez Ruffin », de « J’veux du soleil », « Référendum pour ADP », ou autres joyeusetés. Sans compter les manifs, de Lille à Paris, et la Fête de l’Huma, où ils portent notre stand à bout de bras.
Fifi, bardé de son sourire – qui doit être greffé, je pense, il ne le quitte jamais – fouille dans sa mémoire. « On a rencontré François pendant le conflit des Goodyear, sur les ronds-points, vers 2012. On en a bouffé, de la merguez et du pneu… » « Moi, François, il me rappelait Maxime Gremetz, s’enflamme Flo. Une fois, Gremetz, il reçoit une femme avec des enfants, sans logement. J’étais dans le bureau d’à côté. Il me dit de le suivre : il va chercher sa perceuse, il part réquisitionner un logement vide pour y installer la famille ! La police est venue, mais ils ont gardé l’appart’ ! »
Fifi et Flo, ils se connaissent depuis trente piges : lui ancien de la Cégèt, manipulateur en imagerie médicale dans un hosto, quatre enfants de deux femmes différentes, avant elle. Elle qui avait réussi le tour de force d’élever seule ses quatre gamins, tout assurant son boulot d’agent d’entretien dans les trains. La Fête de l’Huma comme décor pour le coup de foudre.
À Fakir, ils ont formé les néophytes : certains n’avaient jamais rien collé d’autre que des chewing-gums sous les tables. D’autres ont fini avec des tendinites, à vouloir suivre leur rythme… Mais leur vraie passion, c’est la brocante. « Je suis un grand chineur, prévient Fifi : je garde plein de trucs en me disant que ça va servir. Mais surtout, je collectionne tout sur Gainsbourg. Ses interprètes, des pressages japonais, tout. Ça m’a coûté cher… » Flo soupire : « L’appart’ est trop petit, il faudrait un château. Parce qu’il a des bouquins, aussi, et des cadres, et des gravures. Y en a partout… » Fifi se marre, me fait des clins d’œil en douce. C’est qu’elle a pris le virus, elle aussi, à foncer bille en tête dès qu’elle repère une réderie du dimanche. S’ils profitent de leurs razzias dominicales pour coller deux – trois affiches de plus, on ne dira pas non…
Les exploités du mois : Fifi et Flo, bénévoles à la colle
C’est une musique, un ballet, le collage d’affiches.

Publié le 15 décembre 2019
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