Retraite radicale

« Nous ne céderons rien à la terreur, et nous nous battrons pour défendre notre mode de vie : y en a marre des branleurs septuagénaires qui prennent en otage l’économie ! Je veux des vieux productifs ! » A l’heure d’annoncer les contours de sa grande réforme des retraites, Emmanuel Macron s’est voulu résolument offensif.

Publié le 15 décembre 2019

Bernard, 65 ans, radicalisé


« On n’a rien vu venir. 43 ans qu’il faisait de la comptabilité, toujours le premier arrivé chaque matin à son bureau. » Bernard avait tout de l’employé modèle, ponctuel et travailleur. Pourtant, ce vendredi 25 octobre, il commet l’irréparable. « Après la pause déjeuner, il a dégainé ses chips et son mousseux et il a gueulé, ‘‘c’est mon pot, je pars à la retraite’’. » La panique s’empare alors du service comptabilité. Avant le coup de grâce, quand Bernard arrose toute la boîte d’un e-mail de revendication. « C’est l’heure pour moi de voguer vers d’autres cieux, et de consacrer plus de temps à ma famille. »
Même si Christophe Castaner a d’abord nié tout signe de radicalisation, il semble bien que le comportement du terroriste avait changé. « Ces derniers mois, il avait l’air fatigué, lassé, on l’a même vu partir du bureau avant 19h00. » Certains témoignages sont encore plus troublants. « Je me souviens d’un déjeuner à la cantine où il nous avait dit qu’il comprenait les Gilets jaunes. » Des signes de radicalisation anticapitaliste ? « En 2016, il avait pris une demi-journée de RTT, un jour de manif contre la loi travail. On n’a jamais vraiment su s’il y avait vraiment participé ». L’enquête sur le service des Ressources Humaines devrait permettre de savoir comment elles sont passées à côté de telles exactions.
Combien de Bernard préparent en France leur retraite dans le plus grand secret ? Qu’est-ce qui peut pousser un salarié de souche à se convertir à l’oisiveté radicale ? « Il ne faut pas sous-estimer la haine que notre mode de vie suscite chez des salariés à faible pouvoir d’achat », a rappelé Muriel Pénicaud, la ministre du Travail. Sans oublier le mythe de la pénibilité qui pousse le salarié fragile dans la folie de la retraite.

Un plan de lutte ambitieux contre les retraites


« On verra s’ils continuent de jouer les marioles en club de vacances quand ils seront au minimum vieillesse ! » Alors que les retraités prennent l’économie française en otage, le gouvernement entend tarir les sources de financement de la branche retraites de la Sécu. « On ne va laisser notre modèle de profits sous la menace d’une génération de branleurs ! D’accord, on doit garantir la liberté de conscience, on peut pas empêcher quelqu’un de glander, mais pas question de jouer toute la journée au rami aux frais de la princesse. » Pour décourager les vocations de parasites, le gouvernement a mis en place la retraite par points. Comme le permis de conduire. L’idée : retirer des points, et donc les droits à la retraite, à chaque infraction. « J’ai reçu un courrier l’autre jour, qui me disait que je n’étais pas assez productive ces douze derniers mois malgré tout le temps libre que j’avais, s’émeut Micheline, 82 ans, des sanglots dans la gorge. Ils m’ont annoncé qu’ils allaient abaisser ma retraite au minimum vieillesse. »
« Mais ceux qui savent se tenir pourront toujours récupérer leurs points via un assureur privé et une retraite par capitalisation », rassure le gouvernement. Pas question, en revanche, de garantir les droits à la retraite par répartition. « C’est tellement XXe siècle comme concept ! Les risques actuels ne permettent plus de telles largesses bien-pensantes. Et pourquoi pas la répartition des profits tant qu’on y est ? »

Le grand remplacement


« Je viens au boulot la boule au ventre. » Face à la menace des retraites radicales, la panique s’empare de nombre de salariés. « Et si un de mes collègues venait à prendre sa retraite ? Je ne sais pas comment je ferais face, surtout que les départs ne sont pas remplacés » s’alarme Ghislaine, postière. « La suspicion est générale. »
Et on voit ressurgir la menace du grand remplacement des salariés par « une population retraitée improductive qui menace le modèle de développement de la start-up nation ». Théorie du complot ? « Il faut vraiment n’avoir jamais foutu les pieds dans un supermarché un lundi matin pour nier l’invasion des retraités », s’insurge Jean-Michel Blanquer. Avec toujours la même peur. « Ils veulent nous imposer leur mode de vie, entre balades en forêt et siestes devant les rediffusions de Maigret ! »
Certains français n’hésitent pas à organiser la résistance. Ainsi, Yves Thréard, journaliste au Figaro : « Il m’est arrivé une fois de prendre le bus, et d’y voir un retraité. Je suis descendu. » La réponse politique est urgente pour endiguer toute violence, alors que certains Ehpad ont déjà été la cible d’inscriptions antivieux. « Les vieux au boulot », « Usine ou cimetière, il faut choisir », « La vie, t’y bosses ou tu la quittes »

Société de vigilance

« Si votre collègue de bureau cesse subitement de commenter les cours de bourse à la machine à café et s’achète une nouvelle canne à pêche, il est de votre devoir de réagir. » Edouard Philippe a appelé les Français à s’engager pleinement derrière son plan de vigilance citoyenne. Et à repérer les signaux faibles.
Comment reconnaître un salarié en voie de radicalisation ? Il peut s’agir de petites choses : un engagement associatif, des cours de soutien gratuits, des petits-enfants à garder, « bref, tout ce qui dénote un intérêt pour une société non marchande, un rejet de la croissance ou de la concurrence ».
Cependant, face à la vague de signalements citoyens qui a déferlé, Edouard Philippe a tenu à calmer le jeu et à ne pas céder aux amalgames. « Un homme qui passe sa vie à faire des gueuletons et à vivre sous subventions publiques, ce n’est pas forcément un retraité, ça peut aussi être un grand patron ! »

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