Novembre 1999 : le premier numéro de Fakir, journal pas encore fâché avec tout le monde, sortait. « 500 exemplaires tirés et aussitôt vendus, 2000 re-tirés… qui sont restés chez moi », se souvient, nostalgique, notre éternel rédac’ chef.
Vingt ans, tout juste : ce serait l’occasion d’organiser un chouette anniversaire, non ?
Eh bien non. Trop d’idées, mais pas le temps. L’année occupée par la tournée J’veux du soleil, par la sortie de Il est où le bonheur, par les T’chios écolos, par le pain parlementaire quotidien, par la mission Métiers du lien, par le bordel des municipales…
Alors, on fêtera en fanfare (enfin, peut-être) nos 21 ans.
Et quand même, en cadeau, le premier édito, l’acte de naissance de Fakir, paru, donc, à l’automne 1999. Vous nous direz si, depuis, nous avons trahi…
« De Robien en a rêvé, Fakir l’a fait…
Vous lisez le JDA [Journal des Amiénois] ? Non ? Juste les pages ciné et les horaires de la piscine ? Moi si, tout. C’est formidable, je trouve, cette initiative de la mairie : rémunérer une équipe de créateurs, de têtes pensantes, pour qu’ils rédigent ensemble le Dictionnaire de la Bêtise que Flaubert n’avait pu achever. Pour qu’ils ressuscitent le docteur Pangloss cher à Voltaire, répétant à longueur de page que ‘‘Tout est pour le mieux dans la meilleure des vies possibles’’.
Le JDA positive à marche forcée, ne renonçant ni au mensonge (par omission), ni à la bêtise (par démagogie).
1) menteur, parce qu’il se tait :
Dans le JDA ; on vous a parlé, déjà, rien qu’une fois, d’inégalité des chances ? ou de licenciements ? ou des gitans sans terrain ? Ou des HLM délabrés ? Un exemple : quand deux centres d’appel se déploient, à Amiens, ça fait la Une, cinq articles, des éditos cocorico… Quand Yoplait ferme, pas un mot. Yo-quoi ? Qui ça ? Où ça ? Connaît pas. ‘‘Un oubli’’, il paraît. Il faut dire que dans les sous-sols de l’Hôtel de Ville, on a l’amnésie sélective : lorsque les Gothiques remportent le championnat de Hockey, personne n’oublie de leur consacrer la couverture et quatre pages intérieures. En revanche, lorsque le club dépose le bilan, motus et bouche cousue.
2) Bête, par ce qu’il dit :
Passons sur les concours de maisons fleuries, les courses hippiques, les pièces de la Macu… Écoutons plutôt l’éditorialiste : ‘‘Amiens est une ville de jardiniers’’, entame-t-il. Aïe. Voilà une analyse qui s’annonce polémique. ‘‘Que l’on soit riche ou pauvre, haut placé dans la société ou simple ouvrier, la terre exige qu’on se courbe pour la travailler.’’ Sauf que le riche, lui, ne se baisse pas. Il envoie sa boniche au marché, et basta. ‘‘Le grand bonheur, c’est de manger ses propres légumes.’’ Nan ? Et l’amour, l’Amour ? Réponse : ‘‘Les frites et le sucre, ça fait du bien au ventre. L’amour élève l’homme à des niveaux bien supérieurs.’’ Merci de nous informer.
Comme le confie, en privé, un responsable de la mairie : ‘‘ils ne sont pas là pour faire du journalisme. Ils cherchent à enrober, c’est systématique. Regardez, ils font toujours des éloges. Peu importe ce qu’ils voient, c’est leur rôle.’’ Qu’est-ce que le JDA, au fond ? Une machine à produire de la satisfaction. À exhiber une ville lisse et belle… presque parfaite.
Rédiger un contre-JDA, c’est rappeler, simplement, que subsistent dans notre cité de sérieux problèmes. Ce n’est pas s’opposer, toujours, aux efforts de la municipalité. Loin de là. D’ailleurs, notre gazette s’inspire d’un souhait de Monsieur de Robien. ‘‘On ne signale pas assez les cas de misère’’, regrette-t-il à la page 81 de son best-seller, Hors-la-loi. Puis, après un tableau noir des quartiers Nord, il conclut, page 88 : ‘‘Il faut aujourd’hui que la société se regarde en face. Si on ne cesse de se contempler dans la partie du miroir qui n’est pas brisée, on croit que tout va bien. Mais si on se voit dans un miroir plus constellé d’éclats qu’un pare-brise qui vient de recevoir un pavé, on ne peut pas ignorer les exclusions.’’ Il serait bon que notre député-maire accorde sa politique de communication avec ses bonnes intentions littéraires. Que le JDA ‘‘cesse de contempler’’ ce qui marche et d’‘‘ignorer’’ ce qui cloche…