Dans la cuisine de Darwin (n° 96)

Trente ans que Darwin classe ses milliers de coupures de presse, collectées une à une, rangées dans des classeurs, des cartons, ou punaisées aux murs de sa cuisine. « C’est pour ne pas oublier d’être en colère », précise-t-il. Bienvenue chez le philosophe accro à la presse people.

Publié le 1 décembre 2020

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Un virus de classe

Télé 7 jours, octobre 2020


« Au premier siècle avant notre ère, Rome était terrassée par la peste. Dans De natura rerum, Lucrèce racontait les tas de corps qu’on brûlait dans les rues. Et il expliquait que le virus touchait tout le monde, sans distinction de condition : chacun était égal face à la maladie, même si la grande Faucheuse patrouillait déjà de préférence dans les quartiers déshérités. Toutefois, à partir du moment où une caste de seigneurs a été constituée au Moyen Âge, elle a envoyé les moins favorisés au front des marais, des hospices, pour attraper les mauvaises humeurs. Saint Louis est certes mort de la peste, mais c’est une exception : il y a toujours eu, depuis, une inégalité devant les épidémies. Une inégalité née de la légende du sang bleu, celui des aristocrates, signe de leur distinction et de leur supposée suprématie. Alors oui, le sang des riches est bel et bien différent du nôtre. Simplement parce que notre système immunitaire est bien moins étayé que le leur : ils bénéficient par exemple d’une alimentation de qualité, d’une médecine préventive, d’analyses à plusieurs milliers d’euros, de conseils sur l’hygiène de vie… Bref, leurs lymphocytes et leucocytes sont prêts à se battre. Pourquoi ce développement ? On voit ici, alors qu’à ce moment‑là nous sommes à l’aube du second confinement, alors que tout le monde doit respecter les gestes barrières, que ces règles aujourd’hui encore ne s’appliquent pas aux nantis du système. À l’élite de l’aristocratie médiatique, la Fashion week. Aux pauvres, le Covid. On l’avait déjà vu sur le premier confinement : les plus pauvres, qui ont aussi les systèmes immunitaires les plus fragiles, sont envoyés en première ligne, avec des temps d’exposition au virus allongés. Les virus sont aussi des virus de classe. »

La Révolution ne sera pas télévisée

TV Magazine, octobre 2020


« Avec cette série sur la Révolution proposée par Netflix, on tient un produit qui mise tout sur l’esthétique. Une Révolution française à la sauce Mylène Farmer, qui est aussi une négation du physique des gens de l’époque. Ici, les acteurs sont castés, se mélangent à l’écran mannequins et gravures de mode. Les aristocrates, n’en parlons pas : décolletés plongeants, perruques à n’en plus finir, mouches savamment posées… Même les paysannes sont sublimes ! Or les conditions de vie étaient si rudes que les gens du peuple étaient pouilleux, estropiés, galeux, sales. Là, on n’a guère qu’une vitrine prétexte à la mise en avant de physiques avantageux.

Le problème, c’est qu’une série réaliste sur la Révolution pourrait éveiller les consciences, forger un esprit critique. Alors, on reste sur un parcours balisé, comme dans toutes les séries. Le journaliste et écrivain Cédric Biagini (auteur de L’emprise numérique) en explique les passages narratifs obligés : “Naissance, amour, jalousie, dans une sorte de caricature du réel, en somme. Ce n’est pas dans cette série qu’on en apprendra beaucoup sur le joug monarchique ou sur les réelles conditions de vie des plus pauvres à cette époque. On a la révolution qu’on mérite…” »

Les animaux boucs émissaires

Le Courrier picard, septembre 2020


« Je me suis récemment replongé dans un texte de 2014 de Patrice Rouget, La Violence de l’Humanisme. Il y défend une thèse : selon lui, une bonne part de la philosophie est une entreprise vouée à justifier notre domination sur les animaux. On peut en trouver plusieurs exemples. Dès les Stoïciens, trois siècles avant notre ère, on estimait impossible d’accorder des droits aux animaux, trop éloignés de nous. Selon les partisans de saint Augustin, plus tard, les animaux n’existaient qu’en tant qu’espèce, pas comme individus. Idem chez Rousseau. Descartes, lui, écrivait au marquis de Newcastle qu’un animal qui criait ne signifiait guère plus qu’une ‘‘roue qui grince’’. Bergson, Rabelais, décrivaient le rire comme le propre de l’homme, alors que les animaux rient aussi, utilisent des outils et des artefacts. Et pour Sartre, c’est la conscience de notre mort, contrairement aux animaux, qui nous qualifie en tant qu’êtres supérieurs.

Et qu’a-t-on vu, ces derniers jours ? Que quinze millions de visons avaient été abattus, parce qu’élevés en batterie et susceptibles de transmettre la Covid. Mais parallèlement à ça, on va mettre du vernis sur les ongles des éléphants d’un zoo du Népal, ou dans un autre, du Guatemala, on offre des cadeaux à un chimpanzé. Pour sa bonne santé mentale, un éléphant n’a pas besoin de vernis : il a seulement besoin de vivre dans son biotope, si possible pas saccagé. Les animaux n’ont pas besoin de projections anthropomorphes, mais qu’on cesse d’exploiter leurs milieux naturels. Et je ne parle pas des abattoirs et des animaux de laboratoire… »

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