Elle a dû se sentir seule, ce jour‑là, Martine. Et c’est pas qu’une image : elle était seule, vraiment, avec sa pancarte, à manifester à Abbeville, pour elle et ses copines Auxiliaires de vie sociale. On sortait à peine du confinement, et elle avait en tête, sous sa pancarte, les mots du Président : « Il nous faudra nous rappeler aussi que notre pays, aujourd’hui, tient tout entier sur des femmes et des hommes que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal. » Elle réclamait, donc, une prime Covid. « Toute seule, mais pas déprimée, non ! Les collègues, même si elles sont d’accord, même si elles comptent sur vous, elles ne veulent pas se montrer. Elles ont peur. Et puis, c’est dur, aussi : dans une usine, tu connais tout le monde. Nous, les AVS, physiquement, on se voit très peu, on ne se connaît pas toujours. » Martine, elle, qui « agit d’abord et réfléchit après », écrit au département pour réclamer ses sous, s’en émeut, même, dans le Courrier Picard. « Pendant quinze jours, on n’avait rien, aucune protection, ni masque ni gel ni blouse. Dans les pharmacies, on n’était pas “prioritaire”. Beaucoup allaient au travail la peur au ventre, mais elles allaient au travail. Nous n’avons pas abandonné nos vieux. Et voilà que pour la prime Covid, on est à nouveau pas prioritaire ? On est encore oubliées ? »
Alors, en juin, quand le rédac’ chef l’invite à l’Assemblée Nationale, à causer de son métier, elle y va fissa. Ancienne militante chez les jeunes communistes, « toujours un peu révoltée », elle débarque à Paris, plus seule cette fois, mais avec ses copines Annie, Sylvie, et les autres. « On a parlé de nos conditions de travail, et on a remis la prime sur le tapis ! » Et le député Ruffin posait la question, dans l’Hémicycle. « J’ai reçu ce témoignage : ‘‘Je suis Juliette, auxiliaire de vie. J’ai travaillé pendant toute la durée du confinement avec la peur au ventre. L’entreprise n’avait pas de masques pour nous. Juste après le 13 mai, je me suis effondrée.’’ Comment allez‑vous faire, simplement, maintenant, pour que toutes les travailleuses, tous les travailleurs qu’on a déclarés indispensables à la Nation touchent cette prime, qu’importe la taille de l’entreprise, qu’importe le secteur ? » La question, au moins, était relayée, discutée, sous les ors de la République.
Alors, quand Macron en personne, quelques semaines plus tard, a annoncé une « prime exceptionnelle » pour les aides à domicile, on se dit que Martine, Annie, Sylvie et leurs copines y sont peut‑être, un peu, pour quelque chose… Martine brandit sa fiche de paie, pointe la ligne : « Prime exceptionnelle Covid‑19 : 915 €. » « C’est selon le temps de travail, moi ça fait beaucoup parce que je remplaçais les collègues fragiles… Pour la plupart des AVS, ça fait beaucoup moins, 300 €, 400 €… Temps partiel et prime partielle. » Pour la suite, elle prévient : « Attention, hein, la prime, c’est très bien, mais c’est qu’une fois. moi je me bats toujours pour une revalorisation de salaire ! Et une voiture pour nos tournées ! » La prochaine fois qu’elle manifestera, elle ne sera peut‑être plus si seule, Martine !