Lundi 14 septembre, maison d’arrêt d’Amiens.
« Le travail du directeur, c’est de pleurer auprès de l’administration, pour avoir de l’argent, de l’argent pour rénover les douches, les cellules, les fenêtres, et de pleurer pour du personnel. »
à la maison d’arrêt d’Amiens, le directeur prend sa retraite à la fin du mois, et ça le libère. Je tombe bien.
« On est montés jusqu’à 480 détenus pour 300 places, 700, même, avant la construction de Beauvais. Là, grâce au Covid, on est à 315, 320, c’est beaucoup plus facile de travailler dans ces conditions. »
Tous le confirmeront, durant ma visite, matons comme détenus.
Je tire une cellule au hasard. La 213.
Ils sont trois, dans 10 m2. Les chiottes sans porte, juste un drap qu’on tire : « On n’a même pas d’eau chaude dans le lavabo ! C’est quoi, ici ? C’est le Moyen-âge ? » Un Moyen-âge avec écrans, alors, la télé, la console de jeux…
« Vous êtes là depuis combien de temps ?
— Un an, et pour encore un an.
— Vous préparez votre sortie ?
— J’ai vue le SPIP, le conseiller d’insertion, une fois, il y a six mois. Mais il ne m’a rien proposé, j’ai pas de projet, j’ai rien, y a jamais de place.
— Vous avez demandé quoi ?
— Tout. Auxi peinture, auxi cuisine, auxi polyvalence…
— Et des formations ?
— Pareil, j’ai postulé à tout, au début de ma peine : bâtiment, électricité, déchetterie… Je suis sur liste d’attente pour le CAP première année.
— Dehors, ça vous inquiète ?
— Je vais sortir avec 20 €, comment je vais faire pour me réinsérer ? J’ai pas de logement, pas de boulot… Je vais recommencer, tout simplement. La dernière fois, ils m’ont envoyé vers un CHRS, un centre social, avec des alcooliques et tout. Et sans travail. En un an de prison, tout ce que j’ai appris, c’est la position du soleil ! Ouais, ils m’ont donné des cours de yoga ! »
Ça ne suffit pas, apparemment, pour la zénitude.
À la sortie, le maton CGT tempère : « Des formations, il y en a. Mais les gars ne veulent plus se lever. Avant, le matin, ils devaient faire leur lit, s’activer un peu. Aujourd’hui, c’est fini.
— Qu’est-ce qui a changé ?
— La télé. Ils n’avaient droit qu’à une certaine heure, maintenant c’est toute la journée. Plus la console, ils n’arrêtent jamais. En fait, ils prolongent le mode de vie qu’ils ont dehors.
— Et l’administration laisse faire ?
— Elle est bien contente.
— C’est efficace comme sédatif ?
— C’est ça, oui. La paix sociale, et pour pas cher. »