« Le médecin m’a appelé : ‘‘C’est urgent. Vous avez un gros problème au cœur. Lundi, vous êtes hospitalisée et on vous opère.’’ Là, aussitôt, j’ai pensé à mes petits : comment vont faire les parents ? ça m’angoissait de les appeler, de les prévenir… Comment ils vont réagir ? J’ai essayé de négocier : ‘‘Lundi, c’est pas possible…’’ Mais il était ferme, il ne me laissait pas le choix : ‘‘Vous risquez un arrêt cardiaque à tout moment.’’
— C’est à dire que, en cet instant de vie et de mort, où tu devrais t’inquiéter pour toi, pour ta fille, pour son avenir, qu’elle ne grandisse pas seule, c’est encore le boulot qui l’emporte ?
— Oui, mon principal souci c’était : ‘‘Est ce que je vais perdre mes contrats ?’’ Parce que j’ai des parents compréhensifs, mais si je suis absente, c’est fatal, ils signeront ailleurs. Et je n’ai pas d’argent de côté, il faut payer le loyer, comment je vais faire ? »
Cette anecdote en dit long, je trouve, sur la précarité des assistantes maternelles. Sur leur dépendance aux parents employeurs. Sur leurs liens compliqués, à la fois de sympathie, de complicité, faits du quotidien autour des « petits », mais aussi d’une domination habillée de sourires.
« Les rendez vous médicaux, d’habitude, je les repousse aux vacances, sinon, en semaine, comment je vais expliquer ça aux parents ? C’est pareil, là, ma fille vient d’entrer en sixième. Il y avait une réunion à 16 h 30, je les ai prévenus longtemps à l’avance, pour qu’ils le mettent dans leur agenda, pour qu’ils ne soient pas surpris, mais certains m’ont encore renvoyé des : ‘‘Comment je vais faire, moi ?’’ Ils ont du mal à comprendre qu’on a une vie.
Toute seule avec ma fille, je n’ai pas le choix : il faut travailler. Même pendant le Covid, il fallait travailler. Avec ma maladie chronique, j’étais parmi les fragiles, mais je ne pouvais pas m’arrêter. Comment j’allais être indemnisée ?
Le 14 mars, on s’est retrouvés complètement livrées à nous mêmes, sans masque, sans gel, sans rien, avec aucune nouvelle de la PMI… ça sonnait dans le vide, les bureaux étaient déserts… Tous les soirs, je désinfectais ma maison. Je faisais 7 h – 19 h, et ensuite, pendant près d’une heure, je passais du produit partout. Ce que je fais encore, d’ailleurs.
On a reçu les protocoles à la fin du confinement, et là, ils se sont montrés pointilleux, ils ont surveillé qu’on respectait bien tout, pourquoi pas, mais sans un remerciement, sans un ‘‘comment ça va ?’’. Alors qu’on avait travaillé seules, abandonnées, dans la peur on peut dire, durant les deux mois de confinement… La prime, d’ailleurs, personne n’a pensé à nous la verser. »