Bogota 2018 : « Une cheffe de cabinets pour les déboucher, c’est le nec plus ultra »
On était morts de rire, devant le message, avant que la réunion d’équipe ne débute par Zoom.
« Bogota 2018 », donc, commentait le dernier Bulletin de Ruffin, où le rédac’ chef présentait notre local parisien, à l’instar d’un Stéphane Plazza dans La meilleure Offre sur M6 : « On est dans l’appart de Fakir, à Gare du Nord à Paris, qu’on n’a pas trop investi parce que ça pue la merde, faut le dire. Et après des années de combat, je veux saluer Thibault, un héros !, le directeur de Fakir, qui s’est débrouillé avec le restaurateur indien d’à côté, et aussi le frère de Mélanie, Mélanie c’est ma cheffe de cabinet, c’est son frère, plombier, qui a pu régler ça dans les chiottes… » La rigolade s’est interrompue quand le patron a débarqué, comme un ouragan. À peine le temps de saluer, qu’il a déballé son sac : « J’ai un truc, là, qui m’est venu en courant ce matin, notez‑le parce que je pense qu’y a quelque chose à faire dessus, c’est ‘‘les vrais assistés’’. C’est les riches, en fait, gavés de subventions, d’aides de l’État, déjà, mais en fait, ils sont assistés pour tout, ils ne s’en rendent pas compte : leur femme de ménage pour le nettoyage, la nounou pour s’occuper de leurs enfants, la secrétaire pour réserver des billets d’avion… Mais leur grande force, c’est de masquer leur assistanat ! De faire croire qu’ils sont des héros, des autonomes, qu’ils gèrent leur vie. Sans les autres, ils ne sont rien ! » Silence gêné.
« Quoi, qu’est‑ce qu’il y a ? il a demandé, tout surpris.
— Ben, c’est‑à‑dire que, quand même…
C’est dur à défendre, pour toi, comme ligne, tu comprends bien… »
Il a marqué une pause, perplexe, puis s’est assis, lentement, visiblement touché.
« Oui, oui, c’est vrai, je sais… Je sais que si vous êtes pas là pour récupérer les affaires que je perds un peu partout, mon cahier, mon téléphone, mes clefs…
— Ou tenir ton agenda…
— Configurer ton ordi.
— Te trouver de la mousse à raser.
— Ou un sandwich en dernière minute. »
Ses convictions semblaient vaciller.
Était‑il dans le bon camp ?
« Je me le dis bien, souvent, que sans vous…
— … sans nous tu ne peux rien, c’est sûr !
— Mais avec nous tu peux
beaucoup, sans doute, c’est vrai.
— Mais oui ! C’est ça, c’est bien ça, il faut
l’avouer. Je suis un incapable du quotidien, un phobique administratif compulsif, un trou noir d’affaires à ne pas perdre, un…
— N’en fais pas trop, non plus.
— Mais c’est que j’ai besoin d’avoir l’esprit libre, vous comprenez ? Pour penser et mener les batailles, je dois me détacher du matériel. Comment je peux dessiner notre avenir radieux et commun si je suis cloué dans le présent, entravé par ces chaînes de l’esprit ? »
On l’écoutait encore vaguement, d’une oreille distraite, attendant le retour de bâton.
« Bon, bon… J’entends votre douleur, il a concédé. On va tout remettre à plat, et parlons franchement : quelles tâches vous donnent l’impression que vous êtes aux ordres d’un assisté ?
— On t’envoie nos fiches de poste ? Ça ira plus vite. »
Il s’est vite ressaisi, du coup : « Et dans vos fiches de postes, y a écrit ‘‘Jacuzzi’’, peut‑être ? Non ? Alors, il va falloir vous le gagner, le bain à bulles ! Au boulot ! »