Qu’on leur coupe la dette !

Ils nous refont le coup : à cause de la « dette », il faudrait tailler dans les dépenses sociales. C’est oublier que cette dette, nos dirigeants l’ont amplifiée, instrumentalisée. Et qu’ils continuent d’en profiter…

Publié le 29 avril 2025

« La dette française menace la survie de notre pays. La situation est dramatique. »

Je secouais la tête, soupirant, en entendant le Premier ministre François Bayrou, la voix grave, nous annoncer les plaies d’Égypte et la disparition prochaine du pays.

Je soufflais, désabusé. Parce que ça fait quoi ? Vingt ans, trente ans qu’on entend ça ? qu’ils nous servent le même refrain pour les mêmes desseins ?

Comment ça peut encore passer ?

Comment peuvent-ils encore faire croire à leurs balivernes ?

Deux jours plus tard, c’est Éric Lombard, ministre de l’économie, qui assurait le service après-vente. Cette fois, la situation était « critique », le « niveau d’endettement insoutenable : 3300 milliards ! ». Et « 67 milliards chaque année, rien que pour les intérêts » !

Trente ans qu’il dure, ce cirque, et qu’il passe toujours aussi bien sur les plateaux télé, et les éditorialistes de pérorer, de digresser sur le bon moment de Bayrou, en gardant bien en tête, bien sûr, le principal : « On n’a pas le choix, vous voyez bien les chiffres. »

Ce qui me désespère le plus, je crois, ce n’est pas eux : ce sont les gens qu’on rencontre sur le terrain, ouvriers, artisans, chômeurs, ou précaires, chez qui le discours finit par percer. Qui vous le glissent, presque timidement, au détour d’une discussion : maintenir la protection sociale, investir, « c’est vrai que c’est difficile, quand même, avec la dette… ».

Alors, si : malgré le trop-plein du refrain, il faut remonter au front.

Redire les choses, encore et encore, tant qu’eux n’auront pas arrêté : leur dette, c’est du bidon. Un prétexte pour imposer leurs politiques, tailler dans le social, l’écologie et les investissements, et protéger les profits de leurs amis.

Dire, d’abord, parce qu’il faut toujours commencer par là, leur nullité : la dette, c’est eux, avant tout. Qu’on se replonge dans les chiffres de l’Insee, ceux du 3e trimestre 2017, alors que Macron était président depuis quelques mois : la dette, alors, s’élève 2200 milliards. Contre 3300 milliards aujourd’hui, geignait le ministre Lombard.

Je pose 3300, je soustrais 2200, même pas de retenue ou quoi, ça se fait de tête… 1100 milliards : Macron le Mozart de la finance et ses gouvernements successifs, Édouard Philippe, Jean Castex, Élisabeth Borne, et Bruno Le Maire à la baguette, ont creusé la dette de 1100 milliards, soit exactement 50 % d’augmentation en huit ans. On ne doit pas être loin du record de France. (Et qu’on précise : sur cette somme, seuls 165 milliards sont imputables au « quoi qu’il en coûte » de la période Covid, a calculé l’Insee : leur joker ne tient pas la route.)

Bref : ils sont nuls.

Mais pas seulement : ils sont intéressés, aussi. Car désendetter, ça peut rapporter gros, mais seulement à certains. En 2005, c’est Nicolas Sarkozy, alors à l’Intérieur, et le ministre de l’économie Thierry Breton qui le clamaient sur tous les tons, en découpant bien le mot : « Il faut dé-sen-det-ter la France ! » Leur objectif : privatiser, pour renflouer les caisses, les autoroutes françaises. Elles sont alors bradées, pour 14,8 milliards, à trois sociétés privées. Quinze ans plus tard, elles auront rapporté… 30 milliards aux actionnaires. Une rente, énorme. Qu’aurait-on pu faire, avec cet argent ? Pendant qu’eux accélèrent ainsi la ruine du pays, et augmentent, donc, la dette, leur si chère dette ? Qu’on ne nous dise pas que c’était un autre temps, d’autres gens : dans les cabinets ministériels de l’époque, deux personnes ont poussé de toutes leurs forces pour faire aboutir la privatisation : Alexis Kohler, récemment encore secrétaire de l’Élysée, et Borne, ancienne Première ministre, aujourd’hui à l’éducation.

Ne nous fions pas à leurs grands airs, ne tombons pas dans le panneau : ils sont nuls, et servent d’autres intérêts que les nôtres.

Car en contrepartie, à qui vont-ils les arracher, leurs « 40 milliards » ? Je dis « arracher » volontairement : parler « d’économies », ce n’est pas juste. N’employons plus ce mot : « économies », le sens est presque joli, et personne ne veut jeter l’argent par les fenêtres. Non : on devrait parler de tailles franches, de coups de hache, de massacre à la tronçonneuse, comme vous voulez, mais ça décrira mieux le carnage social que ça induit, sur les services publics, l’école, le social, l’hôpital. Mais « on ne va pas entrer dans les détails techniques », esquivait le ministre Lombard sur Radio France, quand la journaliste lui objectait qu’on pourrait aussi augmenter les recettes. Le ministre évoquait les retraités, les malades, à taper. « Cette dette, elle représente 50 000 euros par Français », effrayait-il. Diable ! Ne pourrait-on pas, alors, solliciter certains plus que d’autres ? Prendre dans les 200 milliards d’aides annuelles versés sans contreparties aux entreprises (ce qui creuse la dette), mais dont les plus grosses firmes se gavent, avec près de 100 milliards de dividendes et rachat d’actions, l’an passé, dans le pays ? Dans les 22 milliards annuels du Crédit impôt compétitivité emploi, qui creusent la dette mais n’ont créé aucun emploi dans notre pays depuis 2014, selon France Stratégie ?

Voilà leur dette, voilà leur faillite.

Voilà ce et ceux qui menacent la survie de notre pays.

Dans le même temps, les conservateurs allemands proposent un vaste plan d’investissement de 500 milliards d’euros sur douze ans dans les infrastructures et la transition écologique. Parce que oui : investir, dans l’écologie et les services publics, ça rapporte, ça rapporte beaucoup. On vous renvoie au Perry School Project, dont on vous a déjà parlé ici (retrouvez l’histoire sur notre site), cette étude menée sur trente ans auprès d’enfants pauvres, aux états-Unis. On investissait massivement de l’argent sur leur éducation, en soutien scolaire, etc. Devenus jeunes adultes, « l’expérience démontre un impact de long terme considérable. […] Les évaluations aujourd’hui disponibles révèlent que les bénéfices sociaux (ne serait-ce qu’en termes d’aides sociales économisées et d’incarcérations évitées) sont près de huit fois plus importantes [que les investissements]. »

François Bayrou n’a jamais entendu parler du Perry School Project.

On ne lui en veut même pas. Mais puisque ce numéro s’appelle « Comment la gauche doit gagner », qu’elle commence par le dire, haut et fort : leur dette n’est pas celle des Français. Et elle ne doit pas, ne doit plus servir les intérêts particuliers, politiques ou financiers, de ceux qui l’ont créée.

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